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Par Rosa Pavanelli, Secrétaire Générale de l'ISP
Le cliché a fait le tour du monde : on y voit le col de l’Echelle dans les Alpes, lieu de passage des migrants entre la France et l’Italie bloqué par un grillage en plastique de chantier. Quelques heures auparavant, une petite dizaine de militants d’extrême droite réunis sous l’étiquette de « Génération identitaire » s’étaient affairés pour planter ces piquets afin de « veiller à ce qu’aucun clandestin ne puisse entrer en France ».
A Paris, les autorités ont eu beau jeu de dénoncer « une basse opération de communication », alors qu’elles venaient de présenter à l’Assemblée une loi « asile et immigration » au caractère répressif consacrant le recul des droits des étrangers. Un texte censé allier « humanité et fermeté », qui en réalité s’inscrit dans une logique sécuritaire, transformant étrangers, migrants et réfugiés en boucs émissaires de la crise économique et du chômage.
A en croire le gouvernement, la croissance anémique et des emplois en fuite à l’étranger auraient également d’autres responsables : des entreprises publiques, nécessairement obsolètes, des syndicalistes, sectaires par essence et des fonctionnaires, devenus synonymes de « privilégiés ». Leurs statuts sont officiellement considérés par l’Elysée comme « inappropriés ». La récente réforme du code du travail fait d’ailleurs du contrat individuel d’entreprise la référence destinée à être étendue à l’ensemble des salariés des secteurs privé et public.
Pour sortir de ce cercle vicieux et embrasser la « modernité », il faudrait brader les principaux biens de l’Etat : loterie nationale, infrastructures aéroportuaires et demain, les barrages, le fret ferroviaire… Et tant pis si tous ces actifs assurent des recettes régulières aux finances publiques. A court terme, s’en défaire permettrait d’alimenter un fond d’investissement afin de dynamiser une nation désormais présentée comme une « start-up ».
C’est cette logique qui a poussé le gouvernement à engager l’ouverture des lignes ferroviaires à la concurrence, préambule à la privatisation de la SNCF. Une réforme sans légitimité démocratique puisqu’elle n’a jamais fait partie des propositions du candidat Emmanuel Macron. Et pour la faire passer, rien de mieux que de capitaliser sur le ras-le-bol de la population, dont le quotidien se trouve brutalement dégradé par les débrayages à répétition dans le secteur des transports. Sans même parler des week-ends du mois de mai, envisagés avec plus d’angoisse que d’entrain.
On comprend la lassitude de la population. Elle a d’autant plus de mal à défendre les fonctionnaires contre les attaques du gouvernement qu’elle a vu la qualité des services publics chuter au cours des deux dernières décennies. Au nom d’une « nouvelle gestion publique » - en réalité, l’adoption de la logique de l’entreprise privée dans le service public - de nombreux trains ont été supprimés en dehors des heures de pointe et remplacés par des autocars, il n’est pratiquement plus possible d’acheter un billet au dernier moment sans réservation, et les retards sont de plus en plus fréquents, le personnel des services techniques ayant été réduit, baisses de coûts obligent.
Cette ouverture à la concurrence de la SNCF est une première étape pour mettre à bas les autres services publics comme celui de l’énergie. L’annonce de suppression de 2500 emplois dans la distribution d’électricité chez Enedis, filiale d’EDF est un nouvel exemple des attaques subies par les services publics.
Difficile, également, pour les citoyens de se mobiliser pour un hôpital dont on déplore le mauvais fonctionnement ou pour des maisons de retraite dont émanent quotidiennement des alertes sur l’impossibilité de bien recevoir. Et on voit mal les étudiants et leurs parents s’enthousiasmer pour une école et une université en pleine crise. Partout, le personnel – des femmes en grande majorité – tente de faire au mieux pour assurer le service, dans des conditions tellement précaires qu’on se demande s’il vaut la peine de défendre ce « service public » qui n’est plus que l’ombre de lui-même.
Pourtant, à l’Internationale des Services Publics, une fédération syndicale internationale qui se consacre à la promotion des services publics de qualité partout dans le monde, nous avons conscience que la bataille qui se joue actuellement en France va bien au-delà du traditionnel face-à-face entre syndicats et gouvernement. Et que ses conséquences dépasseront ses frontières. L’enjeu n’est pas seulement de défendre des entreprises publiques rendues méconnaissables depuis des années par des exigences comptables et des politiques de gestion en vigueur dans le privé, mais de revendiquer haut et fort la refondation d’un service public de haute qualité, au nom de l’intérêt général. L’idée selon laquelle « ouvrir à la concurrence » permet un service de qualité et moins coûteux est fausse, comme l’a montrée la gestion privée de l’eau en France, dominée par deux oligopoles. L’échec est tellement patent que plus de 100 villes, y compris Paris, ont décidé de « remunicipaliser » ce marché.
Il ne s’agit pas seulement de s’inscrire en défensive contre la « modernisation » prônée par l’Elysée, mais de rappeler que l’accès au travail, à l’éducation, à la santé, à une retraite digne, à des infrastructures de qualité, à la mobilité des personnes, à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la culture, le tout dans des conditions respectant l’environnement ne sont pas des services administrés par entités privées ou publiques, mais des droits dans une société démocratique. Et il suffit de se pencher sur l’histoire désastreuse de la privatisation des chemins de fer au Royaume-Uni pour se rappeler que le secteur privé est incapable de prendre en charge l’intérêt général. Le service public ne peut être livré au diktat du marché, du dumping social et de la concurrence.
Cet article est paru dans le journal Mediapart - billets de blog