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Dans notre dernier numéro de Droit à la Santé, nous avons publié une critique portant que le programme d'assurance santé « Modicare » proposé par le gouvernement indien et qui inquiétait quant à sa pertinence pour résoudre les problèmes auxquels les Indiens font face en termes d'accès aux soins de santé.
L'Inde se prépare aux élections prévues en mai 2019 et le gouvernement actuel a présenté son dernier budget au mois de janvier. Dans le budget provisoire 2019-2020, on constate la confirmation de deux tendances, à savoir la poursuite de l’effondrement des services de santé publique en parallèle avec le renforcement du rôle du secteur privé par le biais d'un des plus importants partenariats public-privé jamais signés au monde dans le domaine de la santé
Dans le budget, le gouvernement néglige systématiquement les composants essentiels au renforcement du système de santé publique. Les dépenses d'investissement par exemple, utilisées pour construire des infrastructures et fournir des équipements, ont été réduites de 43 % dans le budget provisoire 2019-20 par rapport aux dépenses effectives en 2017-18. Les ressources visant à établir de nouvelles écoles de médecine et moderniser les hôpitaux régionaux ont été réduites de presque 40 % par rapport aux dépenses effectives en 2017-18. Les programmes visant à renforcer les hôpitaux régionaux et les écoles de médecines au moyen de ressources humaines plus nombreuses doivent faire face à des réductions bien réelles. Pour ce qui concerne les agents de premières lignes, le discours du budget présente une augmentation ridicule de la rétribution des travailleurs et travailleuses de la santé dans les communautés (également appelés activistes accrédités en santé sociale ou ASHAs) de 2 000 INR à 3 000 INR par mois (soit de 25 à 38 €), qui reste très éloignée des exigences de salaire mensuel de 18 000 INR (231 €), réclamées depuis longtemps (déclaration JSA).
La mission nationale du gouvernement indien pour la santé (NMH), lancée en 2005, a permis d'augmenter l'allocation budgétaire versée aux infrastructures publiques de premiers soins, notamment dans les zones rurales. C'est dans le cadre de ce programme que le réseau des Centres de premiers soins (PHC) a été renforcé, amenant une amélioration des résultats de santé en orientant à nouveau les gens vers les infrastructures de santé publique dans les régions rurales de l'Inde. La dotation budgétaire pour la mission NMH reste toutefois inférieure aux dépenses réalisées l'année précédente. La part de la NMH dans la dotation totale de santé est passée de 60 % en 2014-15 à 49 % dans le budget 2019-20.
On constate pourtant une augmentation du budget global de la santé dont plus de la moitié est dédiée à un seul programme, la composante d'assurance du Programme Ayushman Bharat. Le Ministère de la Santé et du Bien-être Familial (MOHFW) a bénéficié d'une allocation de 633 milliards INR (soit 8,2 milliards d'Euros), ce qui représente une augmentation de 70 milliards INR (909,7 millions d’Euros) par rapport à l'année précédente. 64 milliards INR (831,7 millions d’Euros) sont consacrés au programme Pradhan Mantri Jan Aarogya Yojana (PMJAY), soit une augmentation impressionnante de 167 % par rapport à l'année précédente.
Le Ayushman Bharat Program est le fruit d'une initiative nationale de santé, annoncée début 2018 et qui compte deux composantes. La Mission nationale de protection de la santé, ou Pradhan Mantri Jan Aarogya Yojana (PMJAY) est le programme d'assurance pour les hospitalisations dans les hôpitaux privés ou publics inscrits. Une fois en place, le PMJAY doit couvrir environ 100 millions de familles (soit presque 40 % de la population indienne).
Il s'agit en fait d'une extension d'un programme existant appelé RSBY, et au nom duquel les familles les plus démunies du pays étaient assurées par le gouvernement à hauteur de 150 000 INR (soit 1 950 €). Avec le PMJAY, la couverture passe de 150 000 à 500 000 INR (6 500 €). La seconde composante correspond à l'extension de centres secondaires de santé déjà existants, rebaptisés Centres de santé et bien-être (HWC) et prodiguant gratuitement les premiers soins dans les zones rurales.
Si le PMJAY a connu la plus forte augmentation de budget et représente presque 10 % de la totalité du budget du Ministère de la Santé et du Bien-être Familial (MOHFW), cette allocation reste tout à fait insuffisante pour mettre en œuvre ses propositions. La dotation actuelle de 64 milliards INR (831,7 millions d'Euros) est inférieure à ce que l'organisme de planification du gouvernement Niti Ayog a calculé. Pour lui, 1,3 milliard d'Euros (100 milliards INR) suffiraient à peine à payer les cotisations.
Pourtant, l'économiste spécialiste de la santé Indranil Mukhopadhyay montre que même si ce calcul correspond à un paiement grossièrement sous-estimé de 250 INR (3,2 €) de cotisation par personne par an, il serait tout à fait insuffisant pour garantir un traitement hospitalier adapté de la population couverte. Il précise que les chiffres devraient plutôt se situer au-delà de 600 milliards INR (7,8 milliards d'Euros), soit presque l'équivalent du budget santé total du MOHFW.
Cet écart souligne l'insuffisance du budget santé, qui compte pour environ 1 % du PIB (budgets de l'Union et de l'État confondus), bien loin des 2,5 % promis de longue date ou encore des 5 % recommandés par l'OMS.
Les acteurs privés ont salué la démarche vers un renforcement de l'offre de soins de santé, basés sur les assurances, et proposent également leurs propres estimations. Les fournisseurs privés demandent que la dotation pour le PMJAY soit augmentée pour atteindre 2 500 à 3 000 milliards INR (32 à 39 €) si le gouvernement veut que le secteur privé s'implique de façon substantielle et durable. Le gouvernement multiplierait alors son budget actuel de 1 % du PIB pour arriver à 5 % comme recommandé, et épuiserait donc les financements publics pour la santé pour les utiliser dans les cas d'hospitalisation principalement assurés par des services privés pour 40 % de la population sous le programme PMJAY, avec peu de ressources pour proposer les premiers soins. De plus, cela impliquerait que 60 % de la population doive payer personnellement les services de santé dans le secteur privé, ou s'appuyer sur un système de santé publique toujours plus négligée.
Les expériences avec l'ancienne formule du PMJAY, le RSBY, ont montré que lorsque le secteur public est affaibli, les programmes dynamisent le secteur privé. Les données de 2016 montrent que 80 % des remboursements dans le cadre du programme ont été adressés à des entreprises privées, bien que dans des hôpitaux de moindre envergure. Les acteurs d'importance dans les hôpitaux (le soi-disant secteur des hôpitaux de luxe) ont salué l'augmentation de la couverture. En effet, 40 % de la population indienne deviendrait des clients potentiels des traitements qu'ils proposent.
Le PMJAY encourage essentiellement les investissements privés dans le domaine de la santé, non seulement via cette part de marché garantie, mais aussi par le biais d'aides, telles que l'accès facilité aux financements compensatoires destinés à assurer la viabilité des projets, comme un communiqué l'a annoncé récemment.
Sans surprise, l'insistance du gouvernement en faveur du PMJAY a fait l'objet de critiques de la part des réseaux de santé, notamment le Jan Swasthya Abhiyan (JSA). « Le budget provisoire 2019-20 de l'Union reflète l'insistance certaine en faveur d'un modèle de santé reposant sur les assurances et qui nuirait énormément aux services de santé publique. [...] Lorsque l'assurance prend des proportions importantes dans un contexte d'extrême faiblesse et inégalité d'accès, et en l'absence quasi totale de règles, on assiste au transfert des fonds publics vers des acteurs privés n'assurant pas les mêmes résultats en matière de santé ni la même protection financière. »
La déclaration publiée par la coalition nationale de la santé affiliée au Mouvement populaire pour la santé (Jan Swasthya Abhiyan) exhorte le gouvernement à renforcer le provisionnement public des soins de santé, à garantir des stocks suffisants de médicaments et diagnostics gratuits, à travailler à la modernisation des centres de premiers soins et des centres de santé communautaires, à améliorer les conditions de travail du personnel de santé et à garantir la responsabilité aux communautés des services de santé publique. Les syndicats de travailleurs et travailleuses de la santé en particulier, et les travailleuses et travailleurs sociaux en général, s'avéreront de précieux alliés dans la révélation de l'impact biaisé de la politique de santé. Il est clair qu'avec ce budget, le défi à relever pour un système de santé juste et équitable reposant sur une offre publique de soins de qualité s'intensifie pour le mouvement pour le droit à la santé.
Susana Barria est active dans la campagne de l'ISP pour la justice commerciale dans la sous-région d'Asie du Sud
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