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Ce que les travailleurs/euses doivent retenir du texte final du Nouveau Programme pour les villes : une évaluation syndicale du document final d’Habitat III

13 Juillet 2017
En octobre 2016, plus de 30 000 représentant(e)s des gouvernements nationaux, régionaux et locaux, des syndicats, des entreprises, des milieux académiques et de la société civile se sont réuni(e)s à Quito, en Equateur, pour la Conférence Habitat III (HIII). Les représentant(e)s des gouvernements ont adopté le Nouveau Programme pour les villes, les directives des Nations unies censées servir de référence pour les politiques relatives à l’urbanisation au cours des 20 prochaines années.

Le Nouveau Programme pour les villes est le dernier document d’une longue série d’engagements et d’accords mondiaux : l’Agenda pour le travail décent de l’Organisation internationale du Travail (OIT) ; les Objectifs de développement durable des Nations unies ; le Programme d’action d’Addis-Abeba pour le financement du développement ; le Cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe ; et l’Accord de Paris sur le changement climatique (COP21). Bien que le Nouveau Programme pour les villes soit le moins connu parmi ces accords, il s’agit de celui qui se concentre le plus sur la concrétisation des engagements mondiaux, qui nécessitent tous une mise en œuvre sur le terrain au niveau local.

Depuis le début du processus de la Conférence Habitat III, les syndicats ont clairement soutenu que, pour rendre les villes équitables et pour veiller à ce que l’urbanisation se traduise par une intégration socioéconomique durable, tout en réduisant la pauvreté et les inégalités, les travailleurs/euses doivent résider au cœur du Programme. Par ailleurs, les engagements et les politiques urbaines doivent reposer sur l’Agenda pour le travail décent de l’Organisation internationale du Travail (OIT), qui s’inscrit dans le cadre de l’ODD 8. Si les moyens de subsistance des travailleurs/euses des villes sont précaires, non durables et qu’ils/elles sont privé(e)s de leurs droits humains fondamentaux, les villes dans lesquelles ils/elles travaillent et qu’ils/elles font vivre au quotidien deviendront non durables et inéquitables.

Une délégation mondiale de l’ISP, composée de représentant(e)s des syndicats du secteur municipal/ALR d’Equateur, de Jamaïque, du Mexique et du Népal, ainsi que le personnel du siège de l’ISP et des experts du PSIRU ont participé activement à la conférence finale qui s’est déroulée à Quito, en Equateur, du 17 au 20 octobre 2016. Conformément au mandat que lui avait confié le Conseil des Syndicats mondiaux, l’ISP a présidé la table ronde du groupe officiel des syndicats et des travailleurs/euses, en collaboration avec l’IBB. La délégation de l’ISP a défendu et promu de manière proactive les dix points clés de la position de l’ISP sur la Conférence Habitat III « pour des villes équitables et inclusives » et a participé en tant qu’orateur à cinq événements de haut niveau organisés par ONU-Habitat, l’OIT, Action Aid, la GWOPA et Communitas. Ces réunions ont porté sur les moyens de subsistance et les emplois urbains, les PPP pour les infrastructures urbaines, la gouvernance urbaine dans le cadre du programme de l’après-HIII, ainsi que sur les services et espaces publics favorisant l’égalité des genres dans les villes.

La délégation de l’ISP a par ailleurs organisé l’événement « Les villes pour les gens, pas pour le profit » lors du forum qui s’est tenu en marge de la Conférence Habitat III, présidé par des organisations de la société civile et les affiliés équatoriens (Resistencia a HIII), qui a eu lieu à l’Université centrale de l’Equateur, la plus grande université publique du pays, en collaboration avec les affiliés locaux de l’ISP et l’Alliance internationale des habitants. Le forum alternatif a présenté plus de 100 événements, notamment la 5e Session du Tribunal international des expulsions, un tribunal populaire public qui, chaque année, examine des cas d’expulsions forcées dans les bidonvilles, les établissements autochtones ou d’habitants pauvres, qui visent généralement à utiliser ces terres à des fins commerciales dans le cadre de plans de développement immobiliers privés. Le Forum a publié une Déclaration finale de la résistance à la Conférence Habitat III et a été particulièrement critique envers l’approche adoptée par le Forum officiel HIII des Nations Unies, notamment l’approche de développement néolibérale qui s’appuie sur l’immobilier, les immeubles commerciaux et les investissements privés. Elle génère un embourgeoisement et une ségrégation urbaine, à l’inverse de la vision d’un avenir urbain qui repose sur le droit au logement, le droit à la ville et l’accès universel aux services et espaces publics, dans le respect des droits humains.

Ce que les travailleurs/euses et les syndicats ont obtenu avec le Nouveau Programme pour les villes

Le texte final du Nouveau Programme pour les villes s’éloigne considérablement des revendications et des recommandations émises par les syndicats. L’ISP a soumis une déclaration officielle au nom du Groupe des syndicats et des travailleurs/euses lors de la séance plénière de la Conférence Habitat III, qui soulignait les sérieuses lacunes et omissions qui figurent dans le document final.

 

Malgré les évidentes omissions, limitations, déclarations de principe générales et le caractère compromettant du Nouveau Programme pour les villes, un certain nombre d’engagements forts méritent d’être soulignés et pourront être revendiqués et utilisés par les travailleurs/euses et le mouvement syndical.

Un engagement clair en faveur du « plein emploi productif et le travail décent pour tous ; en facilitant la création d’emplois décents pour tous et un accès égal aux ressources économiques, aux moyens de production et aux possibilités d’activité productive » (art. 14 b) et art. 57) appelle à la mise en œuvre et au suivi de l’engagement clé du Nouveau Programme pour les villes, visant ainsi à créer des emplois décents dans les villes et les communautés locales, y compris en ce qui concerne les mesures relatives à la viabilité environnementale (art. 75), ainsi qu’à la promotion d’un « climat économique propice, juste et responsable » (art. 58) qui tient compte des défis particuliers auxquels les PME et les microentreprises sont confrontées.

L’engagement à faciliter « une transition progressive des travailleurs et des unités économiques vers l’économie formelle, » pour les « travailleurs pauvres [de] l’économie informelle, particulièrement les femmes, y compris la contribution des travailleurs non rémunérés, des travailleurs domestiques et des travailleurs migrants » (art. 59, Nouveau Programme pour les villes) représente une étape positive pour garantir l’accès à un socle de protection sociale à tou(te)s les travailleurs/euses et une condition préalable au développement économique inclusif.

Le Nouveau Programme pour les villes prend un engagement (quoiqu’incohérent) en faveur de la promotion des services publics en vertu des articles 55 « [favoriser] l’accès (...) à des services publics adéquats, inclusifs et de qualité » ; 88 « la fourniture de services publics, l’eau et l’assainissement, la santé, l’environnement, l’énergie, le logement et les politiques relatives à la mobilité » ; 96 « [des] partenariats entre les zones urbaines et les zones rurales et des mécanismes de coopération entre les municipalités (...) permettant de s’acquitter efficacement des tâches administratives municipales et métropolitaines, d’assurer des services publics et de promouvoir le développement local et régional » ; et 114 a) « une augmentation notable de l’offre d’infrastructures de transports publics accessibles, sûres, efficaces, abordables et durables, ainsi que de solutions de transport non motorisé telles que la marche et le cyclisme, qui seront privilégiées par rapport aux transports motorisés privés ».

En ce qui concerne le renforcement des régimes budgétaires et des ressources des municipalités, le Nouveau Programme pour les villes s’engage à « mettre en place des cadres et des instruments de financement efficaces, novateurs et durables, susceptibles de renforcer les systèmes de financement municipaux et les régimes budgétaires des collectivités locales afin de créer, de préserver et de répartir de manière inclusive les avantages du développement urbain durable » (art. 15 iv)) ; et reconnaît « qu’il importe de veiller à ce que tous les moyens financiers de mise en œuvre s’inscrivent résolument dans des cadres d’action cohérents et des processus de décentralisation budgétaire ». Les signataires s’engagent également à soutenir la « création de cadres juridiques et réglementaires solides pour des emprunts nationaux et municipaux viables » (art. 130) et à favoriser « la mise en place de systèmes fiables et transparents de transferts financiers de l’administration centrale aux autorités infranationales et locales, en fonction, le cas échéant, des besoins, des priorités, des fonctions, des mandats de ces dernières » (art. 135).

Quant au renforcement des capacités des administrations locales et régionales, des dispositions ont été adoptées visant à « améliorer les capacités de planification et d’aménagement du milieu urbain et [à assurer] la formation des urbanistes aux niveaux national, infranational et local » (art. 102) ; et à renforcer les « capacités de gestion financière à tous les niveaux de l’administration » (art. 131). Des engagements spécifiques relatifs au renforcement des capacités des administrations locales sont pris dans le domaine des services publics de distribution d’eau et d’assainissement, en vertu de l’article 120 (« doter les services publics de distribution d’eau et d’assainissement des moyens d’exploiter des systèmes de gestion durable de l’eau (...) afin d’éliminer progressivement les inégalités et de promouvoir l’accès universel et équitable à l’eau potable, à un coût abordable, ainsi que l’accès de tous, dans des conditions équitables, à des services d’hygiène et d’assainissement adéquats ») et en matière de réduction et d’anticipation des risques de catastrophes (art. 101).

Les problématiques liées au genre sont mises en avant et reconnues comme étant une condition préalable pour garantir des villes inclusives. Ci-dessous quelques passages qui méritent d’être relevés : garantir « à toutes les femmes un travail décent et une rémunération égale pour un travail égal ainsi que l’autonomisation des femmes et des filles dans les zones urbaines » (art.13) ; adopter des « politiques urbaines, des infrastructures et des services prenant en compte les questions de genre » (art. 77, 92) ; mettre en place des « espaces publics (...) sûrs, (...) accessibles à tous (...) et à l’abri de la criminalité et de la violence, y compris le harcèlement sexuel et la violence sexiste » (art.100).

Enfin, bien qu’aucun cadre exhaustif de lutte contre la corruption ne soit envisagé et qu’aucune mention claire ne soit faite quant à la nécessité d’inclure des clauses sociales et de travail dans les contrats de passation des marchés publics – une réelle occasion manquée pour le Nouveau Programme pour les villes –, le texte fait référence à des mesures de lutte contre la corruption et à des mécanismes de passation des marchés publics justes, parallèlement au renforcement des capacités, en vertu des articles 138 et 151.

Le Nouveau Programme pour les villes mentionne par ailleurs le « droit à la ville » dans le cadre de sa « vision commune » (art. 11). Elaboré par le géographe britannique David Harvey, le droit à la ville représente un cadre conceptuel important en matière d’urbanisation inclusive. Il soutient qu’un accès équitable, universel et participatif aux avantages et aux possibilités offerts par les villes constitue un droit collectif pour chaque habitant(e), indépendamment de son statut, de son origine ou de son revenu. Cette vision concorde avec la position de l’ISP sur Habitat III. Des villes telles que Sao Paulo, Mexico et Barcelone sont de ferventes défenseuses du droit à la ville, promu par la Plateforme mondiale pour le droit à la ville et par l’UCLG, qui l’a adopté en 2011.

Même si les engagements mentionnés ci-dessus demeurent très généraux, ils offrent une base solide permettant aux syndicats de contraindre les administrations centrales, infranationales et locales à les respecter, en les tenant pour responsables de leur exécution, et à revendiquer une pleine participation dans leur mise en œuvre, leur gouvernance et les mécanismes d’examen et de suivi.

Réserves sur le Nouveau Programme pour les villes

Bien que le texte final contienne moins de références directes aux partenariats public-privé en tant qu’option principale pour financer le Nouveau Programme pour les villes, on observe une confiance excessive dans l’investissement privé, le secteur privé et les entreprises pour combler les déficits d’investissement liés aux infrastructures mondiales et aux services essentiels tout au long du document (art. 132, 133, 140).

L’article 134 contient des références potentiellement dangereuses aux « impôts locaux, [aux] frais et [aux] redevances » comme étant un moyen pour les administrations locales de générer des recettes dans le cadre de la mise en œuvre du Nouveau Programme pour les villes, alors que l’ISP avait souligné les risques liés à une telle approche et proposé d’autres options progressives pour les systèmes fiscaux municipaux. L’article 135 évoque des « mesures d’incitation fondées sur les résultats » pour les transferts de ressources de l’administration centrale aux autorités locales et infranationales, qui risquent de briser la solidarité interterritoriale. Plutôt que de promouvoir ouvertement ces politiques, de vagues références à des « cadres réglementaires appropriés » apparaissent dans le texte, afin de donner l’illusion que les problèmes de gouvernance liés à la participation des intérêts privés aux infrastructures et services publics (art. 91), aux emprunts municipaux sur le marché privé (art. 139) et aux services de mobilité privés pour le transport public urbain (art. 116) sont correctement pris en compte.

Le silence du Nouveau Programme pour les villes sur les problèmes systémiques qui sont à l’origine des inégalités et de l’exclusion dans les villes (l’embourgeoisement et la commercialisation des biens publics, la privatisation des services publics essentiels et des espaces publics, le pouvoir des multinationales et du capital privé sur les politiques et le développement urbains, les lacunes en matière de droits, le travail précaire et les bas revenus) témoigne des nombreux intérêts privés qui sont en jeu dans la mise en œuvre du Nouveau Programme pour les villes, en particulier en matière de construction d’infrastructures, de logements et de fourniture de services publics. Il n’est dès lors aucunement surprenant que le Forum économique mondial ait publié un rapport favorable aux partenariats public-privé – dont la préface a été rédigée par Joan Clos, directeur exécutif d’ONU-Habitat, ce qui est d’autant plus alarmant –, qui soutient que « les PPP sont une condition préalable à la résolution des défis urbains » en matière de services et d’infrastructure. Depuis longtemps, l’ISP connaît et met en lumière le mauvais résultat de 20 années de partenariats public-privé dans la fourniture des services publics essentiels au sein des communautés locales et des villes. Cette inefficacité est de plus en plus reconnue par certaines sections des Nations Unies, de la Banque mondiale et du FMI.

L’absence de référence à la négociation collective et au dialogue social dans ce texte se révèle d’autant plus inquiétante pour les syndicats. Les concepts de « syndicats » (art. 48) et « travailleurs » (art. 20) n’apparaissent qu’une seule fois dans le Nouveau Programme pour les villes, et ce, dans des termes très généraux et dans une liste de « parties prenantes de la société civile ». Plutôt que de reconnaître leur rôle fondamental en tant que partenaires sociaux, aux côtés des gouvernements et des entreprises, le texte suggère seulement de les impliquer dans la mise en œuvre du Nouveau Programme pour les villes.

Même s’il importe de mettre en place des plateformes de dialogue pluripartites incluant les syndicats, ces espaces ne peuvent pas remplacer les mécanismes de négociation collective bipartites et tripartites. Parce qu’elle garantit des négociations et un dialogue constructifs, menant à des accords contraignants entre représentant(e)s des travailleurs/euses, entreprises et gouvernements sur les conditions de travail et sur des questions plus larges de politiques macroéconomiques qui touchent directement les communautés locales et le développement économique local, la négociation collective représente un des mécanismes les plus puissants pour lutter contre la pauvreté et les inégalités, combler l’écart salarial entre les hommes et les femmes et contribuer à l’inclusion des groupes vulnérables, tels que les travailleurs/euses précaires et ceux/celles de l’économie informelle. Le Nouveau Programme pour les villes a totalement failli sur cette question.

ONU-Habitat doit inclure pleinement les syndicats dans le système de gouvernance pour la mise en œuvre et le suivi du Nouveau Programme pour les villes, aux côtés des entreprises et des gouvernements, qui sont leurs partenaires sociaux et interlocuteurs naturels. Le Nouveau Programme pour les villes ne parviendra pas à mettre en place des villes justes et à atteindre des résultats équitables, à moins de garantir une participation et une représentation égales des travailleurs/euses et de leurs syndicats face aux intérêts des entreprises.

Les syndicats du secteur public dans les administrations locales et régionales doivent être particulièrement vigilants en matière de contrôle. Ils doivent veiller à suivre et à dénoncer les cas d’utilisation du Nouveau Programme pour les villes afin de servir les intérêts privés plutôt que les intérêts publics des utilisateurs/trices des services publics et des communautés locales. Les syndicats doivent par ailleurs exiger le respect du droit fondamental à la négociation collective de leurs conditions de travail avec leurs employeurs des administrations locales et régionales.

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