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La privatisation de l'enseignement public menace de détériorer les conditions institutionnelles qui garantissent un accès universel à l'éducation et promeuvent la réussite scolaire des étudiants. En 1960, l'UNESCO a promulgué sa Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement[1], qui reconnaissait le droit universel à l'éducation. En 2015, les Nations Unies ont défini des objectifs de développement durable, parmi lesquels l'objectif n°4 : Assurer l'accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d'égalité, et promouvoir les possibilités d'apprentissage tout au long de la vie[2]. Ce droit d'accès une éducation publique de qualité est désormais mis en péril par la pression internationale qui vise à privatiser les établissements scolaires, y compris les services administratifs et les activités technico-professionnelles qui sont essentielles pour offrir un accès universel à une éducation publique de qualité.
Le Groupe de la Banque mondiale s'inscrit dans cette tendance à la privatisation. La Banque mondiale présente sa « politique en matière d'éducation » comme une approche responsable destinée à répondre à une hausse de la demande d'éducation dans les pays en développement. Cette approche sert à justifier le penchant de la Banque mondiale pour la privatisation de l'enseignement public. D'après elle,
« Le programme de Partenariats public-privé (PPP) repose essentiellement sur le rôle potentiel que peut jouer le secteur privé pour permettre plus largement un accès équitable à l'enseignement et pour en améliorer les résultats. Dans certains pays à faibles revenus, l'augmentation de la demande de scolarisation fait naitre une offre privée en la matière lorsque l'État n'est pas en mesure de scolariser tout le monde. La situation est différente dans les pays à revenus élevés, dans lesquels c'est une demande « différenciée » qui aboutit à une scolarisation privée : une clientèle sophistiquée exige qu'il existe différents types d'écoles. En mobilisant des financements du côté de la demande et en passant des contrats avec des organismes privés pour la fourniture de services auxiliaires, les gouvernements améliorent l'offre faite aux parents et leur donnent l'occasion de participer pleinement à la scolarisation de leurs enfants. »[3]
La Banque mondiale n'étaye pas solidement son argumentation lorsqu'elle affirme que le secteur privé peut fournir une éducation publique et des services auxiliaires avec efficacité.
Au sujet des services auxiliaires, la Banque mondiale avance la chose suivante :
« Les missions non éducatives, dont l'entretien des bâtiments, le transport des écoliers et les repas scolaires, sont souvent très coûteuses pour les écoles publiques. Dans les rares cas où une bonne analyse des coûts a été réalisée, il s'avère que ces services coûtent souvent bien plus cher dans les écoles publiques que dans les écoles privées (Banque mondiale 2009:10) »
La Banque mondiale évoque de « bonnes analyses des coûts » dans ses rapports de 2006 et 2009, mais n'indique aucune source primaire ni secondaire pour étayer le fait que, selon elle, les services assurés par le gouvernement sont inefficaces. Ses arguments reposent presque exclusivement sur son étude de cas de la Colombie faite en 2006. Or sa méthodologie s'articule autour de la passation de contrats privés concernant les services éducatifs dans le but d'augmenter la couverture (recrutement) et ne compare ni les coûts ni la qualité des services auxiliaires dans le domaine de l'éducation entre les écoles à fonctionnement privé et public en Colombie. Rien ne prouve, dans les rapports de 2006 et 2009 établis par la Banque mondiale, que l'externalisation des services auxiliaires abaisse les coûts, en améliore la qualité, permet d'atteindre une meilleure réussite scolaire ou améliore la transparence des systèmes éducatifs publics.
Pire, la Banque mondiale avance comme argument que recourir à des prestataires capables de recruter du personnel non syndiqué permet de faire des économies (Banque mondiale 2009:10). La Banque mondiale ne fait aucun effort d'investigation sur l'impact qu'auraient des personnels syndiqués sur l'efficacité et la qualité des services auxiliaires dans le domaine de l'éducation, ou bien sur la réussite scolaire obtenue par les étudiants. Cette focalisation sur le cas de la Colombie suggère que la Banque ferme les yeux sur les violations systématiques des conventions de base de l'Organisation internationale du Travail concernant les droits des travailleurs lorsqu'elle défend les partenariats public-privé dans le domaine de l'éducation[4]. Le penchant qu'entretient la Banque mondiale pour la privatisation repose sur une documentation insuffisante et un manque de considération institutionnelle pour les liens critiques entre les services auxiliaires dans le domaine de l'éducation et l'accès des étudiants aux possibilités d'apprentissage, ainsi que leur réussite scolaire. Par définition, la Banque mondiale part du principe que la privatisation réduit les coûts et que les économies ainsi dégagées seront réinvesties dans le but d'étoffer les offres éducatives faites aux étudiants. Cette hypothèse dangereuse ouvre la voie à des formes agressives de privatisation pouvant déboucher sur une discrimination à l'égard des étudiants, à une violation des droits universels des travailleurs à former un syndicat et à négocier collectivement avec leur employeur dans le domaine éducatif, à des atteintes à la transparence contractuelle et à la responsabilité politique, à une élévation des coûts pour une moindre qualité, à l'externalisation des services.
L'Internationale des Services Publics (ISP) défend l'accès universel à une éducation publique de qualité et lutte contre la privatisation de l'éducation et des services scolaires à travers le monde. Lors de son Congrès mondial de 2012, l'ISP a disposé que :
Le personnel auxiliaire de l’éducation fournit des services essentiels, du secteur de la petite enfance jusque dans l’enseignement universitaire. Toutefois, les contributions apportées par ces employés sont souvent méconnues et ce manque de respect se manifeste bien trop fréquemment par une faible rémunération et des conditions de travail, ainsi qu’une formation inadaptées. Beaucoup sont contraints d’accepter des postes à temps partiel ou précaires, dépourvus de toute sécurité d’emploi.[5]
Le réseau des personnels auxiliaires du secteur de l’éducation et de la culture (ESCW) de l'ISP a été fondé en 2014 afin de faire de l'éducation un droit humain, de garantir l'égalité d'accès à une éducation publique et de qualité pour tous et de lutter contre les initiatives qui ont pour but de transformer une éducation publique pour tous en un profit privé réservé à quelques-uns.
[1] UNESCO. “The Planned Development Of Primary Education And The Quest For Greater Relevance To The Environment.” 1960, disponible à l'adresse : http://www.unesco.org/education/educprog/50y/brochure/tle/132.htm.
[2] Nations Unies. Objectifs de développement durable : Objectif n°4, 2015, disponible à l'adresse : http://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/education/
[3]La Banque mondiale. “Economics of Education.” 25 août 2014, disponible à l'adresse : http://www.worldbank.org/en/topic/education/brief/economics-of-education.
[4] Le gouvernement américain continue de constater des violations du droit du travail en Colombie dans le cadre de l'accord commercial bilatéral. Si les dernières années ont apporté une légère amélioration, le rapport fait état d'actes de violence organisée à l'égard des syndicalistes à l'échelle du pays, le tout dans une impunité largement dominante. Voir « The Colombian Labor Action Plan: A Five Year Update” ici : https://www.dol.gov/ilab/reports/pdf/2016_Colombia_action_plan_report_FINAL.pdf.
[5] Internationale des Services Publics. Résolutions du Congrès international 2012. Résolution #33, disponible à l'adresse : http://www.world-psi.org/fr/resolution-33-le-personnel-auxiliaire-de-leducation