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Le 29 novembre 2013, le ministère péruvien du Logement, affirmant que des réformes étaient nécessaires afin d’améliorer la gestion des ressources nationales en eau, a proclamé la Loi n° 30045, dite Loi de modernisation des services d’assainissement. L’objectif déclaré de cette loi est d’améliorer l’accès, la qualité et la pérennité des ressources en eau potable et des infrastructures d’assainissement dans tout le pays, tout en veillant à la protection de l’environnement et à l’inclusion sociale dans le cadre de la fourniture de ces services. L’un des principaux objectifs affichés vise à réduire les disparités en matière d’accès à l’assainissement, en particulier pour les personnes aux ressources limitées, dans les zones rurales notamment.
Cependant, pour remplir ces nobles objectifs, la loi ouvre la porte à la privatisation en instaurant un dispositif réglementaire aux termes duquel le secteur privé et les partenariats public/privé peuvent intervenir. Ce mécanisme autorise le transfert des ressources vers des entités privées qui assureraient les prestations dans le cadre de concessions attribuées par les autorités locales, y compris la compétence exclusive pour la gestion des services.
Le Congrès a adopté cette loi, apparemment sans débat ni consultation des experts, des autorités municipales, des usagers et des employés du service public.
Si tôt la loi devenue publique, la Fédération nationale des travailleurs de l’eau du Pérou (FENTAP) s’est mobilisée pour exprimer son opposition et s’opposer à cette mesure.
Selon Luis Isarra, le Président de la FENTAP, la nouvelle loi vise manifestement à jeter les bases de la privatisation des services d’approvisionnement en eau au Pérou. « Cette loi est une atteinte à l’encontre des travailleurs et des citoyens, » affirme-t-il. « Elle nous dépossède de notre droit fondamental à l’eau et à l’assainissement. »
La FENTAP n’est pas seule à livrer bataille.
L’Internationale des services publics (PSI), fédération syndicale mondiale représentant 20 millions de travailleurs dans plus de 150 pays, apporte un appui sans réserve à la FENTAP pour repousser cette dernière offensive de privatisation. À cet effet, les syndicats affiliés à la PSI ont contribué à organiser la première pétition citoyenne officielle afin de mettre fin à la privatisation de l’approvisionnement en eau au Pérou. Dans le sillage de cette campagne, on s’attend à ce que le Président Ollanta Humala reçoive des milliers de lettres.
Rosa Pavanelli, la Secrétaire générale de la PSI, exhorte le Président Humala à abroger cette loi et à ne pas livrer des services publics essentiels aux mains d’organismes à but lucratif. « Nous devons protéger l’eau en tant que droit humain, et non en tant que marchandise pouvant être vendue au bénéfice des sociétés, » déclare-t-elle, avant de préciser que la PSI et ses affiliés soutiennent la lutte de la FENTAP car elle est un élément essentiel dans la lutte mondiale pour le bien-être de l’homme et la protection de la planète.”
À la veille de la Journée mondiale de l’eau des Nations Unies, le 22 mars, M. Isarra et Mme Pavanelli, de concert avec les syndicats affiliés à la PSI au Pérou, des alliés au sein des collectivités locales ainsi qu’un groupe d’experts, se sont réunis dans le cadre d’un forum international destiné à mobiliser le public dans un débat approfondi sur la privatisation de l’eau. À la surprise générale, l’électricité a été coupée lors de la première des deux journées.
Mais, comme l’a souligné Mme Pavanelli lors de son intervention, « Si nous pouvons vivre sans électricité, sans microphones, voire sans médias responsables, en revanche nous ne pouvons pas vivre sans eau. Et c’est précisément l’objet de ce combat. »
Mme Pavanelli présente une longue liste de cas où les privatisations ont complètement échoué.
« C’est en Europe qu’a été recensé le plus grand nombre d’annulations de contrats de privatisation de l’eau, l’exemple le plus parlant étant la France, le berceau de la privatisation de l’eau, » précise Mme Pavanelli. « Au cours de la dernière décennie, plus de 40 municipalités, dont Paris, Rennes et Grenoble, ont remunicipalisé leurs services de distribution d’eau. En Allemagne, à l’issue d’un référendum, Berlin et Leipzig ont eux aussi remunicipalisé ces services. Le même scénario s’est déroulé en Hongrie, dans les villes de Budapest, Pecs et Kaposvar. En Italie, un vaste mouvement en faveur de la gestion de l’eau par le secteur public a émergé, 97 % des votants souhaitant conserver la distribution de l’eau dans le giron du secteur public. »
Mais les privatisations n’ont pas été rejetées qu’en Europe. Selon Mme Pavanelli, elles ont été abandonnées à Atlanta, à Indianapolis, en Tanzanie, au Ghana, en Malaisie, en Indonésie ainsi qu’à plusieurs autres endroits.
Pourquoi ce modèle échoue-t-il partout ?
« Il échoue parce que l’accès à l’eau et la qualité de l’eau n’ont pas progressé dans ces municipalités. La situation s’est même détériorée, » explique Mme Pavanelli. « À Djakarta, par exemple, la ville ne dispose toujours pas d’eau potable – bien que la gestion du service des eaux soit aux mains du secteur privé depuis plus de 14 ans. Et depuis 14 ans, ses habitants ont droit à l’eau insalubre la plus chère au monde. »
Patricia Jones, Directrice de programme pour la justice environnementale au Comité de Service Unitaire (Unitarian Universalist Service Committee) basé dans le Massachusetts, l’un des alliés de la FENTAP dans sa lutte, a présenté avec des détails poignants les principales conséquences auxquelles sont confrontés les pauvres, les minorités ethniques et les personnes âgées à Boston. Mme Jones a relaté l’histoire de familles à qui on avait coupé l’eau et dont les enfants étaient ensuite retirés pour être placés dans des institutions de l’état. Elle a également évoqué le cas de personnes âgées qui, tous les mois, devaient choisir entre manger, boire, ou se payer des médicaments. « Ces pratiques sont inhumaines. Il existe aujourd’hui à Boston 8000 foyers menacés de voir leur alimentation en eau coupée. Et, selon l’une de nos études, ce risque est quatre fois plus élevé pour les minorités ethniques, » ajoute Mme Jones.
What happens to those who do not have access to water?
Qu’arrive-t-il à ceux qui n’ont pas accès à l’eau ?
Esther Hemeregildo est la Présidente de El Pueblo Joven 10 de Marzo de San Juan de Lurigancho, l’un des alliés communautaires de la FENTAP. Mme Hemeregildo s’était assise au fond de la salle, écoutant attentivement les intervenants. Elle portait une banderole rouge sur laquelle on pouvait lire : « Protéger l’eau, c’est défendre la vie. » Mère de trois enfants, Mme Hemeregildo se bat depuis 10 ans pour avoir accès à l’eau. À maintes reprises, les autorités municipales lui ont dit qu’elles ne disposaient pas du budget nécessaire pour assurer son approvisionnement par le réseau public. Ses enfants ont eu de nombreux problèmes de santé en raison d’un assainissement insuffisant. Tous les jours, accompagnée de ses enfants, elle descend les collines de San Juan de Lurigancho pour acheter de l’eau acheminée par camion dans sa localité. « Deux fois par jour, seaux en mains, on doit grimper un escalier raide de 90 marches pour ramener à la maison la précieuse ressource. Parfois, je suis trop fatiguée pour travailler. » Quand on l’interroge sur son métier, elle répond : « Je fabrique des cercueils pour les morts. »
Josefina Gabriel Rojas, dirigeante d’un syndicat des travailleurs de l’eau à Huancayo, a perdu son emploi parce qu’elle s’opposait aux mesures de privatisation dans sa municipalité. Elle a dû attendre quatre ans avant d’être réintégrée dans ses fonctions. Depuis, elle défend l’idée de partenariats public-privé où deux compagnies de distribution d’eau mutualisent leurs moyens pour accroître leur puissance et leur expertise technique, mais ses propositions sont restées lettre morte. « Désormais, je fais également partie d’un mouvement de défense qui œuvre à la protection des sources des cours d’eau de plus en plus souvent exposées à la pollution toxique due à l’exploitation minière dans la région, » explique Gabriel. « Nous devons protéger les sources de nos rivières, car nos vies en dépendent. »
À l’instar de Gabriel, des représentants des populations autochtones et non-autochtones ont informé l’auditoire des incidences négatives des activités d’extraction de ressources naturelles au niveau des sources comme des zones humides. Ils ont également évoqué le nombre croissant de conflits sociaux auxquels font face leurs communautés. Selon le médiateur du Pérou, plus de la moitié des conflits recensés dans le pays sont d’origine socio-environnementale, la plupart étant liés à la question de l’eau. Parmi les représentants de Cajamarca, Espinar, Kanaris, Tia Maria et Iquitos se trouvait Marco Arana, célèbre militant écologiste.
Alors que le forum touchait à sa fin, les participants se sont précipités pour se faire prendre en photo aux côtés d’Arana et d’Isarra, les poings levés en signe de solidarité.
« Il est intéressant de constater qu’une bouteille d’eau de 625 ml est vendue dans le commerce au prix de 1,50 sol* – soit 2400 sols par mètre cube. Au Pérou, les compagnies de distribution facturent le mètre cube d’eau traitée à 1,50 sol seulement, » explique Isarra aux personnes qui l’entourent. « Peut-être, ainsi, peut-on mieux comprendre la valeur générée par nos services d’eau municipaux du secteur public – et les énormes profits qui peuvent être tirés d’une exploitation privée de l’eau. »
*1 dollar E.-U. = 2,75 sols ; 1 euro = 3,80 sols.
Compte-rendu de Roxana Olivera pour l’Internationale des services publics