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Laura Maffei*
La ville d’Esquel (Argentine) est une petite localité touristique d’un peu plus de 40 000 habitant(e)s, située à l’ouest de la province de Chubut, au pied de la cordillère des Andes. Tous les jours, plus de 30 tonnes de déchets solides urbains y sont générés.
Ses habitant(e)s sont très attentifs à leur milieu naturel et à la protection de l’environnement. Ainsi, l’opposition de la population d’Esquel à la mise en place de la mine d’or fait partie des événements clés de l’histoire des luttes environnementales en Amérique latine [1].
De la décharge à la gestion intégrale
Dès 1995, bien avant l’adoption de la législation et des programmes nationaux et provinciaux relatifs à la gestion des déchets [2], le gouvernement local a commencé à s’occuper du tri des déchets, première étape vers la gestion intégrale des déchets solides urbains (GIRSU).
Compte tenu de l’importance capitale du fait de trier les déchets à leur source, la première phase consistait à sensibiliser la communauté. Pour ce faire, les établissements scolaires ont été impliqués, en particulier les élèves des dernières années de l’école primaire, qui ont été les véritables promoteurs et porte-paroles du projet dans le milieu familial.
Un autre élément clé de la stratégie a été la revalorisation des fonctionnaires municipaux en charge du département des déchets, un département qui est généralement considéré comme moins important et nécessitant de faibles qualifications professionnelles. Il a toujours été question de conserver le service au sein de la gestion municipale et de le confier à des employé(e)s municipaux.
À l’origine, les déchets organiques étaient transportés dans une usine de compostage et le reste des déchets terminait dans la décharge. L’adoption de la réglementation nationale et provinciale sur les déchets a défini le cadre pour la mise en œuvre du plan GIRSU. Ainsi, en 2009, l’usine de traitement et le centre d’enfouissement d’Esquel ont été inaugurés ; ils reçoivent également les déchets de Trevelin (8 000 habitant(e)s) et du parc national Los Alerces.
Depuis lors, un système de collecte sélective, assurée par les employé(e)s municipaux d’Esquel et de la ville voisine de Trevelin, a été mis en place. À Esquel, l’usine de compostage compte également des points de collecte et de réception de matériaux recyclables. Parallèlement, le programme « Ecocanje » a été mis en place. Il prévoit la réception d’un ensemble de matériaux recyclables – y compris du matériel électronique – en échange de compost produit dans l’usine à partir de déchets organiques générés dans la localité d’Esquel, avec un rendement estimé à 80 %.
Quant à l’usine de traitement, elle reçoit les déchets secs de Trevelin, du parc national et d’Esquel et est gérée entièrement par la municipalité de cette dernière. Elle récupère 30 % des déchets, qui sont triés, emballés et stockés pour être vendus plus tard.
Le reste des déchets finit dans le centre d’enfouissement d’Esquel, géré par la municipalité.
Le système est financé grâce au paiement des usagers/ères d’Esquel pour le service de collecte, qui est englobé dans la facture énergétique. La coopérative d’électricité est chargée de la perception et retient 5 % pour frais administratifs. Le parc national et la municipalité de Trevelin contribuent proportionnellement aux tonnes de déchets qu’ils génèrent, bien qu’à l’heure actuelle un différend entre les deux municipalités existe pour défaut de paiement.
Au total, la municipalité d’Esquel emploie 810 travailleurs/euses, dont 150 (18 %) sont affectés au service des déchets. Environ 60 % des travailleurs/euses sont affiliés au Syndicat des ouvriers/ères et employé(e)s municipaux d’Esquel et de la zone ouest (Sindicato de Obreros y Empleados Municipales de Esquel y Zona Oeste, SOEME-ZO), qui est membre de la Confédération des fonctionnaires municipaux d’Argentine (Confederación de Trabajadores Municipales de Argentina, CTM), elle-même affiliée à l’ISO. Ainsi, le niveau de syndicalisation dans le sous-secteur des déchets atteint 80 %.
Même si le gouvernement local reconnaît et valorise le rôle des travailleurs/euses du secteur, et bien que les conditions de travail soient considérées comme plutôt bonnes (dialogue et participation des travailleurs/euses à la prise de décisions, prise en compte de l’insalubrité pour les salaires et la durée de la journée de travail, conditions de santé et de sécurité, etc.), le syndicat tire la sonnette d’alarme quant à l’augmentation du nombre de travailleurs/euses sous contrat précaire ces dernières années, qui s’élève à l’heure actuelle à 30 %.
Cette situation est d’autant plus marquée dans d’autres municipalités de la région. Par exemple, à Trevelin, seul(e)s 40 % des fonctionnaires municipaux sont employés par l’usine de façon permanente, le reste des travailleurs/euses étant sous contrat précaire. Ce problème, combiné à la non-reconnaissance de la représentation syndicale, conduit à une faible syndicalisation, qui atteint à peine 15 %. Ces facteurs ont entraîné de graves conflits entre le syndicat et les autorités locales ces derniers mois.
Malgré la réussite du processus mis en place dans la localité d’Esquel, qui a permis de réduire considérablement la quantité de déchets qui finissent dans le centre d’enfouissement, ce dernier arrive à la fin de sa vie utile. La municipalité a dès lors demandé des ressources au gouvernement national pour son agrandissement. L’engagement de la communauté constitue également un défi permanent pour pouvoir maintenir et améliorer l’efficacité de la collecte sélective.
On assiste par ailleurs à une dégradation des machines et des outils de travail, ce qui augmente les risques pour la santé et les accidents de travail. A ce propos, le syndicat souligne la nécessité d’engager plus de personnel, étant donné que les journées de travail dans l’usine actuelle deviennent trop longues, ce qui accroît les risques. De manière générale, il s’agit d’une des faiblesses de la stratégie nationale GIRSU.
Par ailleurs, l’augmentation des contrats précaires constitue l’une des principales préoccupations de l’organisation syndicale. Outre l’instabilité professionnelle et d’autres lacunes liées à ce type de contrats, les travailleurs/euses ne sont pas couverts par les compagnies d’assurance contre les risques professionnels (ART). Par conséquent, le SOEME-ZO estime qu’il faut avant tout transférer à l’usine les employé(e)s qui travaillent dans les secteurs les plus exposés aux risques professionnels, comme celui des déchets.
Cette dégradation des conditions de travail doit être analysée dans le contexte des politiques actuelles d’ajustement et de flexibilisation du travail en Argentine, qui s’accompagnent d’une recrudescence de la criminalisation et de la répression de la protestation sociale. À court terme, il est possible que cette situation soit l’un des principaux sujets à l’ordre du jour des syndicats.
Pour le syndicat, l’enjeu consiste à mettre en place des processus similaires à celui d’Esquel dans d’autres localités de la région dans lesquelles il est représenté, non seulement parce qu’il s’agit d’une opportunité d’améliorer les conditions de travail et de valoriser les travailleurs/euses du secteur, mais également en raison de ses conséquences positives sur l’environnement et la population.
Documents
* Article rédigé par Laura Maffei, conseillère de l’ISP, sur la base d’entretiens menés auprès de Jorge Luis Antipán, Antonio Osorio et Ángel Ramírez, représentants du Syndicat des ouvriers/ères et employé(e)s municipaux d’Esquel et de la zone ouest (Sindicato de Obreros y Empleados Municipales de Esquel y Zona Oeste, SOEME-ZO), membre de la Confédération des fonctionnaires municipaux d’Argentine (Confederación de Trabajadores Municipales de Argentina, CTM). Cet article s’inscrit dans le cadre d’une série de cas identifiés dans le secteur des services municipaux des déchets de l’ISP, à la suite de la première réunion des syndicats municipaux des services des déchets d’Amérique latine de l’ISP, qui s’est tenue à Bogotá, en Colombie, les 28 et 29 juillet 2017.
[1] En 2003, grâce à la pression populaire, un plébiscite contraignant a été organisé, lors duquel plus de 80 % des habitant(e)s ont voté contre la mise en place d’une mine d’or dans la localité. Cette lutte constitue l’une des premières victoires populaires de l’opposition face à la montée de l’extraction minière en Amérique latine.
[2] Loi nationale N° 25.916 sur la protection environnementale relative à la gestion intégrale des déchets domestiques, 2004 ; Stratégie nationale sur les déchets solides urbains, 2005 ; Plan provincial GIRSU, 2005 ; loi provinciale XI N° 50 sur la protection environnementale relative à la gestion intégrale des déchets solides urbains, 2010.